- LE YOGA COMME TRANSFORMATION DE SOI -
Pendant des milliers d'années, le Yoga a été un outil d'ouverture du corps et de l'esprit, un agent de transformation. Au coeur du Yoga, on trouve un processus qui implique de confronter ses limites afin de les transcender. C'est une approche psychophysique de la vie et de la compréhension du soi, qui peut être adaptée de façon créative aux besoins de l'époque.
Le Yoga nous transforme en libérant les blocages physiques et mentaux qui entravent notre potentiel et limitent notre vie. La transformation est une dynamique qui apporte nouveauté et intérêt. Nous pourrions penser qu'une transformation profonde nous rendrait tellement différents que nous perdrions contact avec ceux qui nous aiment, voire nous-mêmes. En fait, la transformation qu'apporte le Yoga nous rapproche de nous, et nous permet d'aimer et d'apprécier avec plus de profondeur. Elle implique un affûtage et un affinage qui permettent à notre essence d'émerger, comme un sculpteur laisse émerger de la pierre brute la beauté d'une forme en éliminant les volumes superflus.
La pratique du Yoga procure de nombreux bénéfices: c'est un outil thérapeutique puissant qui corrige nombre de problèmes physiques et mentaux; elle prévient le vieillissement prématuré et nous maintient sexuellement actifs; elle cultive force et souplesse, utilisables pour d'autres activités physiques; elle améliore notre posture et notre maintien, notre peau, notre tonicité et notre vitalité et elle permet d'accéder à un sentiment de grâce et de bien-être.
A un niveau profond, le Yoga génère de l'énergie. L'energie est souvent pensée comme une force mystérieuse qui est soit présente soit absente, et totalement hors de notre contrôle. A travers le Yoga, nous pouvons changer sa qualité et en créer davantage, en cultivant la capacité du corps à être receptacle et transformateur de cette énergie. Nous avons tous expérimenté diverses qualités d'"énergie".
Nous sommes parfois dispersés ou agités, nous partons dans tous les sens. D'autres fois, nous nous sentons pleins d'énergie, calmes et concentrés. Le Yoga nous apprend à générer de l'énergie, et à la distribuer dans diverses parties du corps. Cela nous permet de percer les blocages physiques et psychologiques, et partant de développer un intérêt renouvelé pour la vie. A tout instant, la qualité de notre vie dépend de notre propre niveau d'investissement dans celle-ci. Le Yoga implique beaucoup plus qu'avoir (ou développer) de la souplesse. La capacité de réaliser des postures complexes ne veut pas nécessairement dire que nous savons pratiquer le Yoga. L'essence du Yoga n'est pas dans l'exécution des postures, mais dans la conscience que nous mettons à travailler avec et autour de nos limites et manquements - quels qu'ils soient et où qu'ils soient. Ce qui est important n'est pas le degré de finition de notre posture, mais la façon dont nous abordons le processus yogique, qui est directement conditionné par la façon dont nous envisageons le Yoga.
Il y a un certain nombre de cadres conceptuels que les nouveaux pratiquants adoptent. L'un suggère de considérer la posture comme un objectif ultime, une fin en soi: le degré d'excellence dans l'execution est tout ce qui compte. Un autre considère que la posture est un outil d'exploration et d'ouverture du corps. Au lieu d'utiliser le corps pour effectuer une posture, nous utilisons la posture pour ouvrir le corps. De ces deux systèmes opposés découlent des pratiques profondément différentes.
Approcher les postures comme des fins en soi nous rend peu sensibles aux messages que le corps nous envoie. Si nous nous concentrons seulement sur le but, le fossé entre notre niveau et notre objectif a tendance à créer de la tension et à alourdir le mouvement. Nous travaillons trop vite et trop dur au lieu de laisser le corps s'ouvrir au rythme approprié pour lui. Paradoxalement, une attention sur le processus plutôt que sur l'objectif, amène naturellement progrès et ouvertures. Les postures peuvent être abordées en force, mais être en prise avec les asanas limite à la fois l'ouverture immédiate du corps et ultimement notre potentiel à augmenter notre amplitude de mouvement.
La valorisation du progrès 'objectif' est une composante profonde de notre conditionnement. Il est naturel d'apprécier de progresser, mais nombre de problèmes surgissent lorsque le coeur de la pratique repose sur les résultats plutôt que sur le processus quotidien d'ouverture et de génération d'énergie. Cet attachement constitue une des entraves principales au Yoga. Beaucoup d'entre nous ont constaté que notre Yoga est cyclique, dans le sens où nous sommes totalement engagés, puis moins ou plus du tout, puis ré-engagés etc... L'une des raisons de ces cycles est un attachement trop élevé aux jalons de progrès. Lorsque nous progressons, ça nous excite (littéralement), et nous restons motivés à hauteur de la régularité des progrès. Lorsque nous atteignons un plateau - ce qui arrive inévitablement à tout le monde - , nous avons besoin de la même énergie utilisée auparavant pour progresser juste pour maintenir le niveau. Si notre unique agent de motivation est le progrès, son absence peut causer une grosse perte de motivation. En conséquence, nous pouvons diminuer voire arrêter la pratique jusqu'à ce que le corps exprime à nouveau le besoin de Yoga. Nous le reprenons alors pour nous sentir mieux, et nous améliorons jusqu'au prochain plateau etc...
La qualité du mental que nous apportons sur notre tapis de Yoga est de la plus haute importance. D'ailleurs, les limites principales auxquelles nous sommes confrontés lorsque nous pratiquons vivent dans notre tête, pas dans notre corps. Les gens pensent qu'ils sont limités par l'endurance de leur corps - que la fatigue est purement physique. Selon mon expérience, ce n'est pas tant le corps qui fatigue en premier, mais plutôt l'esprit qui perd sa concentration et a du mal à trouver l'énergie pour rester attentif. Lorsque l'esprit se fatigue, l'attention a tendance à gambader, et la sensibilité aux messages du corps diminue. Nous traitons le corps avec moins de bienveillance, et il se fatigue plus vite. Le Yoga réclame un équilibre entre 'contrôle' et 'lâcher prise' - entre pousser et détendre, entre concentrer l'énergie et laisser libre, de façon à ce qu'elle nous meuve. Il semble que nous rencontrons deux grands types de personalité en Yoga: les 'scientifiques' et les 'sensualistes'. Les scientifiques sont dans la mesure, le contrôle et le progrès jalonné, les 'sensualistes' dans le ressenti, la relaxation et le lâcher prise. Comme le Yoga est l'intégration des opposés polaires, si notre tendance est plus à intellectualiser, nous devons apprendre à nous laisser aller à sentir et jouir de la sensualité des poses. Si au contraire notre tendance naturelle nous pousse à nous laisser aller, nous devons apprendre à expérimenter le 'high' qui accompagne le repoussement des frontières, et utiliser le contrôle pour générer de l'énergie.
L'art du Yoga réside dans l'apprentissage de générer de l'énergie dans différentes parties du corps, dans l'écoute attentive des messages du corps, et dans une forme d'abandon aux directives de cette énergie. Les résistances du corps doivent être respectées, c'est un feedback utile. Essayer vainement de conquérir la résistance et travailler au-delà de la douleur est une autre forme de résistance: le déni de nos propres limites, de ce que nous sommes ici et maintenant. Lorsque nous déplaçons notre attention de 'résister aux résistances' à envoyer de l'énergie là où les limites vivent dans notre corps, ce dernier peut suivre son propre rythme et s'ouvrir en temps voulu, à résistance minimale. Essayer trop tôt de forcer le corps à s'ouvrir contribue à créer plus de tension et résistance, alors que l'abandon à la posture ultimement nous guide vers une plus grande profondeur. Le corps nous suggère quand bouger et aller au-delà si nous lui prêtons attention.
Un autre aspect important de l'approche du yoga nous invite à apprécier l'importance du "conditionnement". Comme la pratique du yoga implique de jouer la ligne de démarcation entre contrôle et abandon, il existe également une réciprocité entre transformation et résistance au changement. Il n'y a pas de moyen de rester celui que je suis maintenant: soit je me rigidifie plus encore et me cristallise, soit je casse des chaînes et je m'évade. Le processus de conditionnement (éducation, familles, amis, société) crée des habitudes dans la tête et le corps qui s'accumulent avec le temps. Ces patterns nous définissent - la façon dont nous bougeons, notre maintien postural, ce que nous pensons, ainsi que ce que nous ne pensons pas. Avec l'âge, nos habitudes s'incrustent tellement qu'elles nous rigidifient mentalement et physiquement. Nos systèmes internes fonctionnent moins bien et nos mouvements sont plus limités.
Le propos n'est pas d'incriminer le conditionnement comme coupable, sa fonction sociale est claire et importante dans la vie des gens. Le conditionnement et les habitudes qui en découlent font partie du processus universel d'individuation. Les entités individuelles, nous tous, sommes des systèmes dotés de mécanismes d'auto-défense qui définissent des frontières et les protègent. La façon dont nous construisons un sentiment de sécurité dans nos vies s'accompagne d'habitudes dont nous ne sommes pas toujours conscients. Certaines de ces habitudes sont nécessaires. Elles peuvent devenir dangereuses si nous les laissons inconsciemment diriger nos vies. La répétition inlassable dans le temps d'habitudes inconscientes nous met en mode automatique, et filtre notre perception du présent. Si nos habitudes sont rigides et fortement ancrées dans l'inconscient, le filtre est opaque et brouille notre perception du moment présent. Or nous n'avons rien d'autre, il est donc dramatique de manquer ce rendez-vous.
L'expérience aussi nous conditionne, laissant une marque, s'imprimant dans notre psyché. Notre mémoire réside dans nos cellules, dans les systèmes du corps, dans le cerveau et ses pensées. Le paradoxe de l'expérience est qu'elle nous enseigne et nous limite à la fois. L'expérience élargit nos horizons, et constitue la matrice à partir de laquelle la transformation prend forme. Mais l'expérience est également source d'habitudes qui confinent le corps et l'esprit. Par exemple, si nous y allons trop en force en Yoga et tirons un muscle, l'expérience peut nous enseigner que l'avidité ou le manque de concentration peuvent nous amener à nous blesser. Elle peut aussi créer des habitudes dans notre pratique: nous pouvons par la suite consciemment ou inconsciemment éviter cette partie du corps. Ou bien, si nous travaillons autour du muscle affecté, la peur de la blessure peut être la source de tension qui ferme le muscle encore plus. Avec de la répétition, le muscle apprend à se fermer pour se protéger d'une douleur anticipée: une habitude est née.
Il existe des habitudes en Yoga comme dans toute activité répétitive, mais la prise de conscience de leur existence et nature nous aide à nous extraire de leur esclavagisme. Faire les postures simplement comme des exercices mécaniques transforme le yoga en gymnastique, ce qui éteint le sentiment de passion et d'aventure dont procède le processus de transformation. La résistance à pratiquer est souvent, en conséquence, un signe que la pratique est devenue inerte et dictée par des habitudes automatiques.
La sensibilité aux feedbacks du corps, cette capacité à écouter et comprendre les messages en provenance de diverses parties du corps, est non seulement cruciale pour éviter les blessures ou les soigner, mais nous fournit un plus grand levier pour notre pratique du yoga. Notamment, c'est seulement en cultivant cette sensibilité que nous savons quand le corps est prêt à bouger plus en profondeur dans un asana, ou au contraire, quand il faut s'éloigner des défis et s'installer dans la posture.
aspects physiques
Avant d'aborder l'approche concernant le yoga physique, on fera un détour pour expliquer en quoi le yoga influence le bien être. Les jeunes enfants sont souples: leurs corps bougent facilement. En prenant de l'âge, nous devenons plus rigides, et retrouvons ces rigidités autour des nerfs, des glandes, des articulations et joints, de la colonne et des systèmes énergétiques du corps. Le corps devient moins efficient; l'énergie se disperse lorsque les systèmes ralentissent en régime ou se bloquent. Le corps est moins sensible et moins en contact avec ses ressentis et besoins. Comme une dimension fondamentale de la vie est le mouvement (à tous niveaux), la qualité même de la vie s'en trouve affectée.
Le mot maladie, en anglais 'disease', pointe vers un déplacement -'dis'- de l'état naturel confortable -'ease'-. Le corps, devenant moins à l'aise, commence à se 'fissurer'. Le processus yogique laisse les divers systèmes corporels ouverts et énergisés, ce qui prévient les crises de nerfs et les maladies. Le Yoga a également un fort potentiel thérapeutique, dans la mesure où chaque asana est un outil sophistiqué: il permet de cibler un système corporel spécifique, en le fortifiant et en le guérissant. Le Yoga nous fournit la possibilité de prendre notre santé en mains.
La majorité des gens commence à se soucier de leur santé lorsqu'elle est compromise. La pratique du Yoga nous informe dans un premier lieu de notre niveau d'énergie global, en particulier si ce dernier a tendance à baisser, et nous fournit un moyen de refaire le plein. L'aspect préventif du yoga est facilité par le fait que le praticien développe un sensibilité accrue au feedback interne du corps, ce qui favorise la détection de signe avant-coureurs. Nous pouvons ensuite, en adaptant notre pratique de façon thérapeutique, apprendre à nous soigner longtemps avant que la maladie ne s'installe.
On dit du yoga qu'il est une fontaine de jouvence, parce qu'il apporte santé et vitalité, mais ce label est trompeur. La quête de la jeunesse ou de l'immortalité, à travers la magie, la drogue ou un ensemble de techniques/pratiques indique une résistance au processus naturel du vieillissement. Je prefère qualifier de yoga de fontaine de vie. Vieillir est inévitable. Le yoga nous permet d'aborder ce processus avec conscience, en tant que processus de transformation qui amène maturité et profondeur. Résister au temps qui passe est aussi résister à la croissance et à la transformation. Paradoxalement, la résistance à prendre de l'âge, qui se traduit concrètement par vouloir vivre dans le passé (style vestimentaire, habitudes de vocabulaire, personnes fréquentées etc...), exacerbe exactement l'angoisse vécue par le pratiquant en en faisant le coeur de ses préoccupations.
En yoga, nous confrontons le processus de vie/mort qui prend racine dans le passage du temps. La jeunesse est une période d'innocence où le corps maintient et même construit ses réserves énergétiques automatiquement. Puis survient le moment (en général en fin de trentaine) où le processus se renverse et où l'énergie à tendance à se disperser, toutes choses égales par ailleurs. Il est cependant possible de prendre de l'âge tout en continuant à construire ses réserves énergétiques avec efficience et économie. Mais c'est loin d'être automatique. Nous devons gérer en pleine conscience les tendances à la fermeture (entropie) de notre corps. Le yoga se met non seulement en travers du processus entropique naturel de dégradation, mais en plus continue/contribue à nous ouvrir de diverses manières, apportant élégance, profondeur et richesse à notre développement.
Faire du yoga le matin nous met en prise directe avec la façon dont nous avons traité notre corps la veille. Nous apprenons à lire les différences subtiles en souplesse, endurance et énergie de notre corps. Le corps est doté de sa propre intelligence, et savoir l'écouter et apprendre de lui est une composante fondamentale du yoga. En y prêtant attention, nous pouvons utiliser le yoga pour aligner et remodeler la structure du corps dans la direction de ce dont il a besoin.
techniques du yoga
Le yoga, en tant que connaissance accumulée du corps humain et art, implique un apprentissage et un affinage. Les professeurs sont utiles lorsqu'ils accroissent notre répertoire technique, ce qui permet en retour d'améliorer notre potentiel créatif. La technique permet de travailler mieux et plus profondément, et elle facilite la qualité de la concentration. Il faut cependant garder à l'esprit que si la technique a sa propre qualité esthétique - sa propre beauté -, elle reste un moyen de transformation et pas une fin.
attention & concentration
L'essence du yoga réside dans le couple attention/concentration - l'attention à la respiration, aux messages du corps, à l'énergie, et même à la qualité de notre attention. Les années passant, on constate que la manière de pratiquer change naturellement. L'approfondissement de la pratique n'est pas nécessairement dans l'apprentissage des asanas plus compliqués, mais plutôt dans la compréhension croissante de la façon de travailler en yoga. La précision technique peut rendre le yoga, même dans les postures basiques, excitant et intense, et peut élargir notre compréhension du yoga.
Apprendre à pratiquer, entre autre, c'est apprendre à aimer la pratique. Pas nécessairement tout le temps, mais comme une présence diffuse dans notre vie. Nous pouvons très bien aimer quelqu'un qui parfois nous frustre ou nous rend fous, mais l'amour perdure. Si nous pratiquons le yoga depuis un moment mais n'aimons plus la pratique, c'est un pointeur clair vers le fait que la façon d'envisager notre yoga nécessite d'être révisée. Dans chaque asana, sommes nous excités, intéressés d'être là? le cas échéant, notre esprit est probablement en train de se projeter ailleurs.
Peut-être que nous sommes en train d'endurer l'asana avec stoïcisme, ayant le sentiment de "faire ce que nous devons faire" ou "ce qui est bon pour nous". Nous pouvons aussi nous battre pour parvenir au but, l'exécution parfaite de l'asana, ou l'amplitude atteinte hier. Tous ces ancrages externes nous éloignent de l'expérience intime du corps ici et maintenant, et nous ne sommes plus présents dans la posture.
Le yoga développe notre capacité à concentrer notre énergie/attention dans des régions spécifiques du corps, ce qui augmente les réserves, que nous soyons en strech actif ou en relaxation. Apprendre à 'lasérifier' cette énergie avec précision et concentration est une partie vitale du yoga, sur laquelle on fait souvent l'impasse. Cette capacité ne dépend pas de notre souplesse, mais bien d'un état d'esprit qui est capable de sentir et reconnaître les régions rigides du corps, et les délier en se concentrant dessus.
Lorsque nous parlons d'"attention", nous faisons référence à un élargissement du spectre de la conscience, qui s'installe quand l'esprit abandonne le contrôle et la direction. La "concentration" s'assimile plus à un laser et implique inévitablement une notion de contrôle et de volonté. Les deux diffèrent, mais le lien qui les unit est intime. C'est en étant attentif que nous avons accès à une qualité de concentration, et en retour la concentration permet d'élargir la qualité de notre présence et attention. Un autre exemple du jeu des opposés polaires que l'on retrouve en yoga.
le souffle
Le souffle est le carburant de la vie (traditionnellement appelé 'prana'). En yoga, le souffle sert de pont entre le corps et l'esprit, et peut être automatique ou consciemment développé.
Le souffle est la pierre angulaire des techniques yogiques. Apprendre à utiliser la respiration avec efficacité est une clé de l'approfondissement de la pratique yogique, puisque le souffle influence directement notre souplesse, force, endurance et équilibre. Utiliser une variation de "Ujjayi", une respiration diaphragmatique profonde qui allonge la respiration par le contrôle de la glotte. La pression des poumons sur la glotte à l'inspir et la poussée à l'expir nous aident non seulement à entrer en profondeur dans l'asana, mais aussi à nous relaxer. Dans les postures impliquant des flexions et compressions, nous nous abandonnons à la posture sur chaque expir et nous réalignons sur chaque inspir. Dans les postures de type backbend, nous approfondissons l'asana à l'inspir et travaillons notre alignement à l'expir.
Le souffle fournit lui-même d'intéressantes leçons sur le contrôle et l'abandon. En utilisant le souffle, plutôt que l'esprit, pour guider et contrôler les mouvements et assouplissements, le corps peut se laisser aller et s'abandonner à l'asana avec plus d'aise. Lorsque le corps et le souffle sont coordonnés, quand ils sont à l'unisson, l'énergie circule dans les tissus, changeant la qualité de notre yoga. L'utilisation appropriée du souffle nous fait sortir de notre tête et nous engage avec notre corps, ammenant une grâce et une sensualité dans le mouvement impossibles lorsque la tête dirige. Cette manière d'utiliser le souffle fournit une attention sereine et centrée, et cette attention peut être utilisée pour diffuser de l'énergie dans les diverses régions du corps.
jouer les limites
Une autre dimension importante du yoga est d'apprendre à "jouer avec ses limites". Le corps a ses limites en souplesse, force, endurance et équilibre. Nous pouvons illustrer le propos avec la souplesse. Dans chaque posture, à tout moment, il y a une borne à l'amplitude atteinte qui est la limite maximale. Cette limite est accompagnée d'un sentiment d'intensité qui précède la douleur, mais qui n'est pas à proprement parler de la douleur. Cette limite se déplace de jour en jour, et de respiration en respiration. Elle ne fait pas que progresser, parfois elle bat en retraite. Une composante de l'apprentissage du yoga est d'apprendre à s'abandonner à la réalité de cette limite, de façon à nous mouvoir en phase avec ses pulsations. Il est psychologiquement plus réconfortant de progresser que de battre en retraite. Il est pourtant aussi important d'apprendre à battre en retraite si la limite se ferme, que de l'accompagner lorsque le corps s'ouvre.
Il y a une addiction psychologique subtile à la réalisation d'une pose complète, ou à atteindre le maximum de notre ouverture présente. La tendance à vouloir réaliser notre amplitude maximale trop rapidement nous éloigne du feedback que nous renvoie le corps et nous fait sortir de l'asana trop tôt. Du souvenir qu'on garde de ses accomplissements d'hier, il se peut qu'on pousse le corps de façon inconsciente à vouloir le répliquer aujourd'hui, avec satisfaction si on y arrive, joie si on le dépasse, et frustration si c'est inaccessible.
Chaque posture engage idéalement l'intégralité du corps, même si elle a une cible particulière en matière d'assouplissement. Si nous bougeons trop rapidement vers la limite maximale, nous négligeons beaucoup de régions du corps. Cela peut donner l'illusion d'un assouplissement accompli, mais au détriment d'un corps non aligné, et probablement pas aussi ouvert qu'il pourrait l'être avec plus de patience. Ouvrir les régions auxiliaires avant d'atteindre l'amplitude maximale permet de garantir un alignement approprié et d'appronfondir le stretch principal.
Il existe une autre limite moins évidente à côté de laquelle il est facile de passer: c'est la première limite, ou limite minimale. Elle apparaît quand on entre dans l'asana, lorsque le corps oppose sa première résistance. En initiant un asana, nous bougeons d'abord avec aisance jusqu'à la première sensation de blocage ou tension. C'est la première limite, et il important de marquer une pause d'acclimatation, de réaligner la posture, et de (re)prendre conscience de sa respiration tout en l'allongeant. Notre attention se place sur l'intensité de la sensation, en attendant qu'elle s'amenuise, moment à partir duquel le corps s'engage automatiquement plus avant dans l'asana à la rencontre de la prochaine limite. Ce processus se répète et aboutit à la limite maximale. Ce faisant, le corps s'est ouvert au moindre effort et résistance. Souvent, la gestion lente et patiente des premières limites aboutit à une translation de la limite maximale. La construction de l'endurance implique de rester longtemps avec les premières limites en se déplaçant lentement vers l'intensité max, car plus nous en sommes proches, plus il est difficile de maintenir la pose. L'apprentissage de la patience aux limites intermédiaires de façon à allonger la respiration permet également de se relaxer en chemin. Ce jeu lent et patient des limites a l'avantage de garantir un alignement approprié pendant tout le processus et une capacité accrue à écouter les feedbacks du corps, ce qui en retour permet d'apprécier une intensité plus marquée et sans douleur, et minimise le risque de blessure. Jouer les limites nous permet également de se connecter à la 'sensualité' de la pose et sa couleur particulière, transformant chaque asana en expérience esthétique.
douleur et feedback
Il est vital de saisir la différence entre douleur et intensité. La frontière peut parfois sembler peu évidente, mais elle est parfaitement définie par notre état d'esprit. La douleur n'est pas seulement physique, elle est aussi psychologique, puisqu'elle s'accompagne d'un jugement marqué - ne pas aimer être là. Si nous voulons nous éloigner de cet état mental, c'est de la douleur. L'intensité sans douleur procure une qualité énergétique et une sensualité stimulantes.
La peur et l'ambition viennent souvent brouiller la différence entre douleur et intensité. Si nous avons peur de nous blesser, de faibles niveaux de ressenti peuvent être interprétés comme de la douleur et évités, alors que l'ambition nous amène à ignorer ou tolérer la douleur. Si nous avons peur dans une posture, il est sage de ne pas se conditionner à ignorer la peur pour 'être courageux', parce que la probabilité de se blesser augmente, transformant le cycle en prophétie auto-réalisatrice. Il est plus raisonnable de jouer la limite de la peur: trouver une station dans l'asana proche de la naissance de l'anxiété; allonger la respiration en attendant et la relaxation et l'ouverture conséquente du corps. Alors on peut progresser un peu plus. Si au contraire nous sommes conscients d'être ambitieux dans une posture, il est vivement recommandé de rester plus longtemps à la première limite, et de bouger volontairement très lentement de limite en limite. Cette approche contribue naturellement à forcer une écoute des feedbacks corporels.
La douleur peut être dure à identifier dans la mesure où elle n'est pas systématiquement aigue ou intense. De plus, une grande intensité ne s'accompagne pas nécessairement de douleur. Si la sensation est telle que nous voulons immédiatement nous en éloigner, c'est probablement de la douleur. Si nous sommes anxieux, même à des niveaux d'intensité relativement bas, c'est notre limite par définition. Nous pouvons dompter cette peur en travaillant lentement, plutôt qu'en poussant au-delà de cette barrière psychologique.
L'évitement de la douleur prend des formes différentes: l'endurance stoique en attendant que ça se termine, penser à autre chose, ou sortir vite de la pose. La douleur crée de l'inattention dans tous les cas, ce qui augmente le risque d'aller trop loin et de tirer un muscle. La majorité des blessures en yoga proviennent d'un excès d'ambition ou d'inattention - souvent les deux. L'ambition en yoga prend aussi diverses formes: rester dans la posture un temps artificiellement prescrit, vouloir accomplir autant que son voisin, répliquer inconsciemment le niveau atteint 'hier', ou vouloir (re)trouver un état psychique interne. L'ambition, comme la comparaison, sont des attributs de la pensée, et donc des faits incontournables. Nous ne pouvons éliminer l'ambition par la volonté ou l'effort, puisque c'est la définition même de l'ambition. Jouer les limites avec conscience éloigne notre attention de l'ambition et la rapproche des messages du corps. Idéalement, une posture ne s'accompagne jamais de douleur. La douleur est un feedback - en l'ignorant ou en la dépassant, tout ce que nous faisons est d'augmenter le risque de blessure. Faire du yoga avec une douleur résiduelle permanente colorie notre pratique et nous rend moins apte à nous poser sur le tapis. Cette attitude transforme le yoga en tâche, plutôt qu'en plaisir.
lignes d'energie
En plus du souffle et du jeu des limites, il existe une troisième dimension au yoga physique. Cette dimension implique la canalisation de l'énergie dans différentes parties du corps à travers la création de lignes d'énergie. Ces lignes d'énergie sont des courants vibratoires qui se déplacent dans des directions différentes selon les asanas. Le décrire comme un état interne est au mieux une approximation. Le mot 'énergie' lui-même, lorsqu'il désigne un niveau d'activation interne, reste vague. Néanmoins, nous avons conscience d'avoir plus ou moins d'énergie. Si nous faisons attention, nous pouvons remarquer que certaines parties du corps semblent vivantes et toniques, alors que d'autres semblent inertes et bloquées. Il est également possible de déceler des courants subtils qui traversent le corps. Ce n'est pas surprenant quand on sait que le corps a un système hydraulique (circulatoire) et électrique (nerveux).
Les asanas impliquent prioritairement les muscles et les tendons dans l'assouplissement. Mais il existe une autre forme d'assouplissement qu'on peut qualifier de nerveux. Ici, nous utilisons les muscles pour étirer le système nerveux, créant un flux énergétique, plutôt que de gagner de l'extension dans la pose. Le focus se place dans la création d'un courant interne dans les nerfs qui peut être senti et intensifié. L'intensité de ce courant nerveux peut être contrôlé par les muscles et a une qualité vibratoire centrifuge. Par exemple, nous pouvons créer une ligne d'énergie interne en maintenant le bras parallèle au sol et en l'allongeant. cela crée une vibration qui se déplace de l'épaule au bras au bout des doigts. Chaque pose a ses propres lignes d'énergie qui peuvent être (re)créées à chaque étape de la pose, se complètent et travaillent ensemble pour impliquer le corps dans son ensemble.
Ces lignes d'énergie affectent notre yoga de diverses manières: 1) elles augmentent l'énergie inhérente de l'asana 2) tonifient et détendent le système nerveux 3) diminuent le risque de blessure résultant d'une extension musculaire trop marquée 4) augmentent notre force et endurance dans l'asana 5) alignent le corps (dedans et dehors) dans l'asana.
Se soucier de l'alignement dans un asana est important; cependant, une préoccupation exclusive sur des méthodes d'alignement externes - une autre personne expérimentée qui nous corrige ou exécuter la forme parfaite vue dans un livre - est incomplète. C'est utile parfois, mais c'est seulement quand l'alignement est fait de façon interne, par la propre intelligence du corps, qu'une pose est vraiment comprise.
Dans la pose du triangle, les flèches représentent la direction des 5 lignes d'énergie. Renforcer le flux vibratoire le long de chacune de ces lignes automatiquement aligne le corps de l'intérieur. Lorsque la pose est proprement alignée comme ça, les courants d'énergie se meuvent plus librement. Cela peut être ressenti. Ces lignes d'énergie traversent les blocages du corps sans 'forcer' la posture et débouchent ultimement sur plus d'extension.
Dans le triangle, si nous plaçons l'accent sur la ligne qui va de l'épaule au bout des doigts de la main supérieure en passant le long du bras, nous ouvrons le coeur et alignons le bassin. La ligne de la jambe postérieure va de la hanche à l'arête externe du pied le long de la jambe, fortifiant la voûte plantaire. Cette ligne aligne également le bassin et libère la hanche. La ligne de la jambe antérieure va de la fesse au pied le long de la jambe, alignant le genou dans un plan avec le bassin. La ligne qui se déplace le long de la colonne allonge cette dernière et lui donne plus de 'jeu' pour se déplacer. Cela libère également la hanche en travaillant en opposition avec la ligne de la jambe postérieure. La cinquième ligne, de l'épaule au bout des doigts de la main au sol en passant le long du bras, facilite le placement de l'épaule dans le plan du bassin, et permet d'approfondir la posture.
Ces lignes transportent l'énergie dans 5 directions et créent diverses oppositions musculaires. Utiliser des chaines musculaires en opposition permet de séparer différentes parties du corps (et dans certaines postures jusqu'à certaines vertèbres de la colonne) les unes des autres, augmentant le contrôle, l'extension, l'énergie et le relâchement. L'apprentissage de la perception et canalisation des lignes d'énergie rend tout cela possible.
Dans le croquis ci-joint, l'extension est moindre que dans le précédent. Supposons que nous rencontrons là la première limite, les premières sensations d'intensité et de résistance. En allongeant la respiration et en augmentant consciemment la saisie des 5 lignes dans la posture, nous faisons ce qu'on nomme un 'étirement interne' à la pose, ou un 'étirement nerveux', au lieu d'un étirement musculaire qui correspondrait à chercher plus d'amplitude physique. Cela (ré)aligne le corps dans l'asana, aide à dissoudre ces résistances, et permet au corps de nous entraîner plus profond lorsqu'il est prêt.
leviers
Il existe trois sortes de leviers ou forces qui facilitent le placement musculaire: 1) les leviers externes (le sol, un mur, chaise, un partenaire etc...) 2) les leviers corporels (où une partie du corps facilite le mouvement d'une autre) et 3) les leviers internes (où les muscles apprennent à se manoeuvrer sans aide externe).
Les leviers externes sont les plus faciles à utiliser, les leviers internes les plus difficiles. Mais il est important dès que possible d'apprendre l'usage des leviers internes, puisqu'ils nous enseignent à nous mouvoir du dedans. Cela crée une sensibilité au niveau des tissus et donne également le contrôle nécessaire à l'approfondissement de notre pratique. Il est plus facile de se blesser en utilisant des leviers externes puisque nous utilisons une force extérieure au corps. Les leviers corporels également sont de cet ordre, mais ils s'accompagnent d'une sensibilité corporelle accrue. Il est difficile de se blesser avec des leviers internes parce qu'il est par construction malaisé pour le corps d'aller au-delà de ses limites en travaillant de l'intérieur. Tous les leviers internes dépendent pour leur fonctionnement des lignes d'énergie (toutes les lignes d'énergie ne sont pas liées à des leviers). L'apprentissage des leviers ouvre de nouvelles perspectives au praticien.
comprendre la posture
Il semble qu'un cadre de travail plus important que l'objectif de parvenir à la position finale, c'est la compréhension des mécanismes de la posture: comment elle fonctionne. Lorsque notre attention et notre concentration sont engagées, que nous jouons les limites, les leviers et les lignes d'énergie, ces composantes disparates s'unifient et ouvrent la porte à une compréhension intime de l'asana. Comprendre une posture n'est pas seulement de savoir comment placer le corps à l'aide de son esprit. La compréhension survient lorsque non seulement les muscles, mais les nerfs et les cellules 'savent' comment travailler dans la pose.
Il y plusieurs façons d'utiliser le souffle, les limites, l'énergie, l'alignement et les leviers, en combinaison ou séparément. Par exemple, nous pouvons nous concentrer sur allonger le souffle à la première limite; une fois la respiration maîtrisée, nous pouvons reporter notre attention sur la création d'une ligne d'énergie.
Lorsque le corps est détendu, nous pouvons ajouter une autre ligne d'énergie. Nous pourrions également laisser tomber la première et nous focaliser sur la qualité de la suivante. Au contraire, nous pouvons activer toutes les lignes d'énergie dans la posture, et les affermir progressivement, en utilisant le souffle pour moduler l'intensité. Les lignes d'énergie amènent une relaxation dynamique aux muscles, car si les nerfs sont engagés et génèrent de l'énergie, les muscles lâchent prise et finalement s'abandonnent à plus d'extension. Lorsque nous comprenons comment la posture fonctionne et que nous nous y abandonnons, nous réalisons que ce que nous pensions être une pose complétée recèle encore beaucoup de variations et possibilités.
aspects psychologiques
resistance
Transformation, croissance, réalisation du potentiel, changement - voilà des objectifs positifs apparemment souhaitables que les pratiquants du yoga affectionnent. Pourtant, tous ceux d'entre nous qui sommes engagés dans un processus de croissance font face à des résistances. En Yoga, il y a des résistances dans les tissus, résistance à pratiquer le yoga, résistance à modifier des habitudes et un style de vie qui se mettent en travers d'une évolution positive. En tant que personne proche du yoga et des disciplines de transformation personnelles pendant des années, il serait sympathique de décrire comment conquérir ses résistances. Ca n'est pas possible. Le sentiment est qu'il est impossible de les vaincre totalement, et que ce n'est pas un problème significatif en réalité. En tant qu'enseignant, nous pouvons apprendre à utiliser les résistances, puisqu'elles nous renseignent sur nos habitudes et nos attachements. Elles nous enseignent également où nous sommes bloqués et/ou fermés. Pour évoquer cet aspect, j'aimerais discuter un peu plus de l'aspect psychologique du yoga.
Qu'il y ait des interrelations entre corps et esprit semble évident. Des tensions psychologiques vivent dans notre système musculaire: lorsque nous sommes 'coincés', nous tonifions littéralement (et la plupart du temps inconsciemment) nos muscles pour rien et bloquons de l'énergie. Après des années de tensions émotionelles accumulées, le corps devient un moule de l'inconscient, un réceptacle qui apprend à fermer certaines parties physiques qui influencent certains états émotionnels. Par exemple, un torse petit et ramassé sur lui-même rend l'expérience d'émotions profondes littéralement moins accessibles. La force des émotions liées à ce type d'ouverture peut nous rendre anxieux, et nous pouvons résister à ce type d'ouverture.
Beaucoup des limites à notre pratique ne se trouvent pas dans notre corps, mais dans nos habitudes mentales et nos attitudes. La résistance aux asanas réside dans nos corps et dans nos têtes. Les résistances mentales peuvent prendre plusieurs formes - l'oubli, les prétextes, la simple paresse, voire des maladies ou blessures. La minimisation des résistances mentales est la clé qui permet de dissoudre les résistances physiques. Lorsqu'on approfondit notre pratique du yoga physique, il devient crucial de comprendre le fonctionnement de notre esprit.
La majorité d'entre nous s'identifie totalement au contenu de notre esprit, l'appellant notre identité. Sans réaliser qu'il s'agit juste d'une des composantes qui construisent un humain. L'importance de l'esprit est énorme, et son pouvoir si étendu qu'il ignore souvent, ou outrepasse ou soumet les autres systèmes qui ont également leur propre intelligence. Notre corps n'exprime aucune faim, et pourtant nous mangeons; nous sommes fatigués, et refusons de nous reposer. Si le yoga force une sensibilisation aux messages de l'intérieur, c'est à l'esprit de les interpréter. Ce travail de traduction est directement lié à la nature et au conditionnement de notre esprit. Nous ne pensons pas à notre esprit comme un object structuré et conditionné, parce que notre esprit est comme un prisme à travers duquel nous nous voyons et voyons le monde - nous l'envisageons comme un fait de nature, et ne questionnons pas son fonctionnement. Pourtant, il existe de grands principes de fonctionnement de l'esprit, au même titre qu'il existe des principes de fonctionnement du corps. Leur compréhension ouvre des possibilités inouies au corps et à l'esprit, et est une porte ouverte à une transformation consciente.
Observer les résistances nous informe sur la nature de l'esprit, parce que souvent les choses auxquelles nous résistons le plus sont exactement celles que nous disons vouloir. Pourquoi est-ce que nous faisons du yoga? Quelle partie de notre pratique est nourrie par des peurs - vieillir, mourir, perdre de la vitalité ? Combien de notre yoga procède de notre ambition - pour plus d'accomplissement, plus de pouvoir personnel, plus de vitalité? Bien sûr tout le monde apporte ses peurs et ambitions sur le tapis de yoga. Le problème n'est pas d'avoir ces peurs et ambitions: le problème c'est qu'elles comportent le risque de s'emparer de notre yoga à notre insu. Si cela arrive, alors l'esprit s'oriente vers le passé ou le futur et perd le contact avec la partie vivante, organique du yoga: comment les muscles se sentent, l'énergie générée, les changements subtils qui recquièrent une attention croissante. Si nous devenons conscients des motifs subtils qui limitent notre pratique à travers la peur et l'ambition, nous ne les éliminons pas pour autant. Cependant, cette honnêteté nous permet de les mettre de côté un instant, de façon à être moins mécanique, plus présent et plus attentif.
les habitudes
Vous êtes-vous déjà posé la question de savoir pourquoi vous faites des choses que vous savez être mauvaises pour vous ? Pas "Pourquoi je n'arrête pas?" mais bien "Pourquoi je les fais malgré tout". Un autre moyen de se poser la question est "Quelle est la nature des comportements auto-destructeurs" ? La plupart d'entre nous est persuadée que nous désirons plus d'énergie, mais en y regardant de plus près, on constate que nous gardons nos réserves énergétiques dans un carcan confortable. Si nous avons trop peu d'énergie, le tissu de nos vie se désagrège. Nous avons besoin d'un minimum vital d'énergie pour fonctionner. Moins évident, si nous avons un surcroît d'énergie, nous pouvons nous trouver en dehors de la zone de nos habitudes, et de la sécurité et des plaisirs qu'elles procurent. Beaucoup d'activités recquièrent un certain niveau d'énergie - certaines beaucoup, d'autres peu. Par exemple, il est difficile de regarder la télévision avec un niveau d'énergie élevé, sous peine de devenir une 'pile électrique'. Si, pour une raison quelconque, il est difficile de se dégager de l'écran, il est possible que nous nous mettions à manger trop de façon à dépenser ce surcroît. Ici, nous contrôlons inconsciemment notre énergie en mangeant trop, attitude auto-destructrice, de façon à conserver ce 'plaisir'. Une pratique effective du yoga augmente les niveaux d'énergie, ce qui remet en cause certaines habitudes mentales et physiques, qui par définition résistent au changement.
"Les mauvaises habitudes" peuvent être envisagées comme source de résistance au changement en nous donnant accès à une gratification instantanée, elle même puissante force de conditionnement. Le goût de la nourriture par exemple est une source de plaisir immédiat. L'attrait du goût est une sirène à laquelle il est difficile de résister, ce qui nous éloigne d'une conception de la nourriture orientée vers la nutrition et la construction de réserves énergétiques. Le sentiment de non-maîtrise de ses pulsions, d'être incapable de résister, est souvent un signe d'addiction physique ou psychologique, et est accompagné d'aspects mécaniques qui nous mettent en mode automatique. En dépit du fait que nous sachions que le plaisir ne vaut pas la douleur/inconfort/vide conséquente, il est curieusement difficile de résister. Les comportements auto-destructeurs impliquent très souvent un plaisir immédiat et compulsif dont le résultat final est une 'douleur'. Une grande partie de la résistance à pratiquer vient de cette incapacité à abandonner ces plaisirs qu'on retrouve dans les comportements addictifs. Une pratique régulière et dédiée nous débranche de ces habitudes et addictions.
Lorsque nous réalisons l'importance du rôle de l'esprit en yoga, nous comprenons que l'exploration de ses mécanismes est essentielle. Au même titre que certains conditionnements corporels entravent le mouvement, certains états d'esprit engendrent une 'étroitesse'. Etre étroit d'esprit implique plus que d'être attaché à un ensemble d'idées et croyances: la condition réduit l'intégralité du champs de perception et réduit nos réponses émotionelles et notre empathie. Les rigidités mentales limitent les mouvements de nos pensées et réduisent le champ des possibles dans nos vies. Les croyances, valeurs, cadres et désirs qui vivent dans nos pensées solidifient des images de nous, qui en retour déterminent ce que nous pensons, imaginons et faisons. En hatha yoga, le processus de confrontation et déplacement des limites corporelles, des blocages et des conditionnements nous ouvre et nous transforme. De la même manière, un travail similaire sur l'esprit, une curiosité sur son fonctionnement et ses limites psychologiques, l'ouvre et étend littéralement notre conscience.
A quel point le souvenir, les attentes et la gratification instantanée influent sur notre pratique du yoga ? Quelles pensées émergent lors de la pratique? Y a-t-il des postures que nous attendons avec impatience et d'autres que nous voudrions éviter ? Est-ce que nous nous pressons pour les postures que nous aimons moins ? Pensons-nous à autre chose? Est-ce que nous pensons à la posture d'après, combien de temps il reste dans celle-ci, où ce que nous allons faire après la classe? Toutes ces pensées arrivent lors de la pratique. Naturellement, elles influencent la qualité de la pose et de l'énergie générée.
Lorsque nous pratiquons le yoga, nous prétendons vouloir croître. Si nous nous y penchons de plus près, ce que l'on entend par 'croissance', c'est garder tout ce que nous aimons dans nous-mêmes et dans nos vies, c'est nous débarasser de ce que nous n'aimons pas, et avoir plus de ce que nous pensons que nous allons aimer. La croissance et la transformation réelles nous entrainent non seulement loin des choses que nous n'aimons pas, mais également de ces plaisirs et habitudes toxiques auxquels nous sommes attachés. Nous n'avons aucune certitude sur le type de personne que nous serions sans cela, ou des directions dans lesquelles ce type de transformation nous transporte. La croissance réelle comporte des incertitudes qui peuvent non seulement altérer nos habitudes, mais également les préférences ou phobies qui les sou-tendent.
Certaines personnes demandent naïvement "Pour pratiquer le yoga, est-ce que je dois abandonner le vin et la viande?". Il est important de comprendre que la peur d'abandonner certaines choses ou de laisser tomber certains plaisirs (quels qu'ils soient) peut créer un sursaut de dépendance, ce qui limite croissance et yoga. Il y a tellement d'habitudes et de plaisirs qui définissent notre vie - le coeur de notre personnalité. Ce qui est ancien, par nature, est confortable. Même nos problèmes et le poids de nos tares sont une forme de sécurité contre l'incertain. Certaines habitudes et certains plaisirs sont appropriés à des saisons de la vie. D'autres tout le temps, si gérés, et d'autres encore peuvent rester avec nous significativement toute une vie. Que nos actions soient 'justes' pour nous est une question élémentaire à laquelle il est impossible de répondre par une formule. Un des cadeaux du yoga est de nous équiper d'une sensibilité acrrue à la vie, qui nous déplace vers le meilleur pour nous.
Dans le processus du yoga, les habitudes et les modes d'être peuvent se modifier ou disparaître par eux-mêmes. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de résistances à leur abandon, ou qu'il ne faut pas user d'intelligence pour se débarasser de parties de nous qui ne sont plus appropriées. Plutôt, l'énergie du yoga et la conscience qu'elle amène rend plus facile le décodage de ce qui est bon et moins bon pour notre bien-être. La pratique quotidienne du yoga dicte des messages qu'il est difficile d'ignorer.
Il y a une frontière que chacun de nous doit explorer entre la croissance, qui est une aventure, et l'ancrage au connu, qui est une sécurité. Se sentir rassuré est nécessaire pour explorer, mais trop de sécurité étouffe la croissance et ternit la vie en la rendant ennuyeuse. Le yoga est remarquable en tant qu'il génère une énergie qui nous ouvre, tout en construisant la force psychologique et physique nécessaires à l'incorporation du changement dans nos vies. Cela donne une confiance d'une tout autre nature: celle de savoir que nous sommes aptes à gérer toute difficulté que nous rencontrons.
competition et comparaison
Avez-vous déjà remarqué le temps que vous passez à penser ? Les pensées peuvent être mécaniques et répétitives. Dans certaines circonstances, nous avons des pensées qui sont tellement déterministes et circulaires que nous pourrions les enregistrer pour les rejouer à l'identique. Elles ont plusieurs fonctions. Par exemple, certaines réduisent les tensions, d'autres transforment notre colère en douleur ou notre douleur en colère (selon l'émotion que nous sommes le plus apte à laisser habiter dans notre corps). Beaucoup de ces pensées évaluent et jugent. Combien de temps passons-nous à penser que nous sommes "mieux que" ou "moins bien que". Quelles pensées favorisent ces jugements ? Nous utilisons notre esprit pour contrôler nos émotions de notre mieux. Contrôler nos émotions nous donne souvent une gratification instantanée ou à tout le moins un soulagement, mais c'est au prix de problèmes de long terme sévères. Par exemple, si je suis envieux de quelqu'un, mais que je sais que l'envie est un sentiment négatif, je la réprime par la pensée. Je crée un discours intérieur qui m'empêche de sentir cette réalité, ou je prétends que je ne ressens pas du tout cette envie, et je la cache en l'enterrant au plus profond de mes tissus corporels. C'est la nature intime des tensions.
Le yoga est souvent introduit comme étant une pratique non compétitive. C'est vrai, mais cela ne signifie pas que le yoga est totalement denué de compétition tout le temps. Lorsque nous approfondissons notre pratique, l'aspect compétitif de l'esprit doit être observé, parce que le cas échéant, la compétition peut revenir automatiquement, et s'emparer de nous à notre insue. Soit nous nous dirigeons résolument vers la réalisation des asanas, avec un réel risque de blessure, ou nous essayons de nous débarasser de la compétitivité, ce qui ferme la porte d'un apprentissage qui s'appuie sur la comparaison. Si nous souscrivons à un système de valeur qui voit la compétition comme quelque chose de mauvais, nous ne la verrons pas chez nous lorsqu'elle se manifeste. Cela diminue l'accès à la connaissance de soi, et nous ferme.
Se pencher sur la compétitivité, c'est réaliser que ses racines se trouvent dans la comparaison, qui est un mode pensée basique. La notion même de progrès implique de comparer. Nous pourrions prétendre que nous ne sommes compétitifs qu'avec nous-mêmes, sans nous comparer aux autres. C'est partiellement vrai, mais il est important de comprendre que la compétitivité avec nous-mêmes comporte des aspects de la compétition avec les autres. Les standards d'excellence ou de progrès ne vivent pas dans le vide, mais naissent dans le contexte social des actions des autres.
L'esprit qui compare est un outil nécessaire et utile, et fournit la base du feedback. Faire du yoga tous les jours est une manière directe de prendre le diapason de la qualité de la pratique de la veille, et de noter les tendances de long terme. Notre régime alimentaire, nos émotions, et nos relations nous affectent et affectent notre yoga. Ces aspects de la vie peuvent être utilisés comme feedback qui nous informent des interrelations entre toutes ces composantes. La base de ces exercices est la comparaison.
Vouloir progresser a un aspect compétitif - vouloir être aussi bon ou meilleur qu'hier, ou l'année dernière. Il est inévitable également, qu'on le veuille ou non, de se comparer aux autres. La comparaison, et son extension la compétition, ne peuvent être éliminées via un effort. Essayer d'être non-compétitif, c'est être en compétition avec soi-même ou les autres sur notre degré de non-compétitivité. Si nous pensons que nous sommes 'bons' à ça (et l'esprit peut nous convaincre de tout), cette attitude nourrit un sentiment de supériorité, essence même de la compétition. L'esprit méditatif essentiel à l'attention nécessaire en yoga transcende la compétition, non pas en la combattant (paradoxe), mais plutôt en consentant à son rôle de feedback, tout en étant conscient de ses dangers et limites.
La comparaison est une partie intégrale de la perception du changement, mais je peux aussi subtilement me mettre en compétition - avec moi-même ou les autres - sur la vitesse ou l'ampleur de ma transformation. En ce sens, l'idée même de changement peut se transformer en objectif à atteindre. La transformation est un processus infini destiné à être vécu, qui ne peut être ni capturé ni possédé - nous pouvons seulement y participer.
evolution
Le yoga, fondamentalement, c'est regarder à l'intérieur pour appréhender la question universelle "Qui suis-je" ? En plongeant dans les tréfonds de notre être, la connaissance rencontrée n'est pas seulement à propos de nous, individu, mais articule une compréhension de nous-même dans un ensemble plus vaste qui est le tissu de la vie. Lorsque les parties du tout s'ouvrent les unes aux autres, abolissant les frontières de la séparation, une communication qui est de l'ordre de la communion opère.
Le mouvement est à la source de l'énergie, des relations, de la croissance - il est au coeur de la vie elle-même. L'évolution est la façon dont le mouvement s'exprime dans cet univers. L'évolution peut être envisagée comme le mouvement des formes vers plus de complexité et d'adaptabilité. Mais cela est seulement la forme externe de l'évolution, sa peau, qui rend possible le moindre mouvement: celui en premier lieu de la conscience. Maturation et évolution arrivent lorsque le spectre de la conscience s'élargit de façon plus inclusive.
Le yoga nous offre de l'ouverture et du mouvement au plus profond de notre être, et élargit notre conscience, augmentant notre capacité à communiquer en profondeur. Cette transformation de Soi nous ouvre à un rapport plus profond avec la vie, et à une participation active au processus d'évolution. Au final, ces deux éléments ne sont qu'un.