- L'ESPRIT DU GUERRIER: L'IMPECCABILITE -
J’aime mettre en correspondance les divers systèmes spirituels qui ont émergé à travers l’espace et le temps. Notamment, j’ai un intérêt marqué pour la tradition shamanique à laquelle a été exposé Carlos Castaneda : c’est un sujet complexe, dans la mesure où ses travaux ont été largement décriés et discrédités sur le tard, et qu’il faut prendre pas mal de choses avec des pincettes. Il n’en reste pas moins que, authentiques ou le fruit de l’imagination prolifique d’un arnaqueur de génie, la lecture de la voie du guerrier/chasseur shamanique est roborative.
Je vais évoquer dans cet article la notion d’impeccabilité au sens de la tradition shamanique toltèque, ou tout au moins le peu que j’en comprends. Cette notion est à la confluence de plusieurs principes que l’on retrouve dans les Yoga Sutras de Patanjali. Le lecteur intéressé fera les rapprochements qui lui conviennent. Comme les autres articles du site, l’esprit dans lequel je rends cette information disponible est extrait de son contexte et nécessite du lecteur un terreau propice. Le puzzle de la compréhension se construit avec le temps.
Un mot sur l'emploi du terme 'guerrier' avant de continuer. Peut-être est-il malheureux en cette période chargée de violence. Il faut l'entendre au sens de guerrier spirituel: le terrain de bataille, c'est nous. Et une petite vidéo qui célèbre la beauté de la région qui a permis l'émergence de ces idées, parfois cheesy et trop mise en scène, but still...
L’impeccabilité fait que le guerrier ne se soucie pas et surtout, n’est pas obsédé par le fruit ou le résultat de ses actions : perdre ou gagner est le dernier des soucis du guerrier. La seule chose qui importe est d’effectuer le geste le plus approprié pour l’action en cours. L’absorption totale dans l’ici et maintenant est son devoir. L’obsession du résultat est une faiblesse qui lui fait perdre le contrôle, et il n’a pas ce luxe car la mort le traque.
impeccabilite, confiance, humilite et perfection
Notre temps fini sur la terre est l’aiguillon de l’impeccabilité : savoir qu’il va mourir donne au guerrier le désir d’agir impeccablement.
Le guerrier donne le sentiment d’une grande confiance en lui/elle. Le terme tel qu’on l’emploie de nos jours est cependant trompeur, et la confiance du guerrier a des implications plus profondes.
La confiance en soi, telle que généralement comprise dans une société capitaliste à caractère individualiste, est une arrogance ou l’individu fait étalage de ses capacités réelles ou prétendues publiquement, sans alignement intérieur. S’il est bon comédien, le public tombe dans le panneau. La confiance du guerrier est une affaire de lui avec lui, une affaire d’alignement entre actions, idées, sentiments, émotions etc…
Comme le guerrier comprend qu’il appartient au monde dans une danse énergétique infinie, ou l’énergie universelle et auto-vorace se mange, se digère et s’expulse en permanence via une myriade de formes, il sait également qu’il est le professeur et l’élève, et qu’il ne vaut pas beaucoup plus qu’un caillou ou qu’une brindille. En conséquence, échouer ou réussir face à ses semblables est le cadet de ses soucis. En d’autres mots, le guerrier n’a que faire de son importance (« vous savez qui je suis !? ») et ne cherche jamais l’approbation publique. C’est une définition de l’humilité dans cette tradition.
Lorsqu’il ne se soucie plus de l’impact de ses actions sur son sentiment d’auto-importance (tâche ô combien ardue), la seule considération du guerrier est d’agir en fonction de ses connaissances au mieux de ses capacités. En conséquence, la confiance en lui du guerrier émane de sa capacité à agir impeccablement. De nos jours, dans la culture de l’image, il y a une tendance à confondre l’adhésion du public et une habileté à le sécuriser, à la confiance en soi. Chercher l’adhésion de l’autre, chercher à se faire aimer à tous prix etc… est l’opposé de l’action impeccable et libre.
Il ne faut pas confondre non plus impeccabilité et perfection. L’action impeccable est souvent parfaite. Mais lorsqu’on désire être parfait plutôt qu’impeccable, nous avons le motif inconscient de vouloir être mieux que l’autre, être le meilleur, parce que justement nous n’arrivons pas à établir notre être avec alignement au sein du monde manifeste. Si le désir profond qui sous-tend la quête de perfection n’est fait que pour ‘impressionner’ l’autre, on est loin de l’action impeccable.
la mort nous traque
Depuis notre premier souffle, la mort nous traque et chacun de nos gestes est susceptible d’être le dernier. Si chacun de nos actes est peut-être le dernier sur cette terre, alors nous devrions en faire un geste impeccable et savourer chaque détail de ces derniers moments. Vivre sa vie dans la connaissance que chaque moment, chaque acte, chaque geste est fondamental et potentiellement le dernier, ‘épaissit’ et rend magiquela vie du guerrier. Peu importe la forme du parcours de la vie du guerrier : en vivant pleinement et en agissant impeccablement, le guerrier n’a ni regrets ni remords. Comment pourrait-il en être autrement ?
Lorsqu’il recherche la perfection, l’homme est incapable de profiter de l’instant présent, des cadeaux que sa situation présente lui offre, et consomme beaucoup d’énergie à gémir, offrant rarement le meilleur de lui. Et selon sa chance, il vit une vie à peu près OK, avec beaucoup d’expériences non désirées et partiellement comprises et vécues, et des actes tièdes qui manquent du tranchant de l’impeccabilité. La quête de la perfection est un gaspillage de temps et de pouvoir personnel. L’action impeccable remplit le réservoir.
Se caler sur la voie du guerrier requiert l’impeccabilité. Celle-ci en retour nous réclame de réévaluer notre être au monde. En particulier dans notre culture, nous vivons comme si notre temps sur terre était illimité. Notre raison, si encline à nous arrimer à des convictions définitives, nous équipe d’une sensation de contrôle derrière laquelle il n’y a que du vent. Pourtant, il n’y a pas beaucoup plus à savoir que le fait que nos capacités incroyables et nos potentiels latents restent invisibles à moins que la mort soit imminente.
En conséquence, le guerrier accepte de relever tous les défis en arrêtant de se comporter comme un être immortel : il ne se plaint jamais de sa vie, et ne gaspille aucune énergie à se plaindre des autres. Il est toujours prêt à saisir son centimètre cube de chance et s’installe dans son pouvoir personnel. Le guerrier ne se laisse pas affecter par les circonstances. et quelle que soit sa peur, il la garde pour lui.
Nous allons mourir. Si c’est demain, l’année prochaine ou dans 25 ans, pourquoi ce ne serait pas maintenant ? Le guerrier a peur de la mort, mais il la laisse être sa compagne et son conseiller. Il n’essaye pas de l’éviter à tous prix, car cela ne veut rien dire, mais sait que s’il la traite avec respect et compréhension, elle le guidera dans la voie de l’impeccabilité et une vie riche. Dans la tradition toltèque, le cadeau de la vie humaine est honoré par une vie impeccable.
En acquiesçant que son temps sur terre est limité et qu’il peut mourir à tout moment, le guerrier fait du temps ordinaire un temps magique. Et en vivant dans l’ici et maintenant et en prenant l’entière responsabilité de ses actions, il atteint un état de vivacité qui rend chacun de ses actes le témoin de sa discipline et de ses prédilections.
En étant pleinement (r)éveillé, et en vivant à la limite en permanence, le guerrier relève tous les défis de sa vie impeccablement. Chaque défi impeccablement résolu augmente son pouvoir personnel, ce qui en retour intensifie son état de conscience et d’éveil. Cette intensification continue le cycle de la compréhension de plus en plus profonde du monde manifeste et de ses interrelations.
Tous nos défis dans la vie ont pour but de nous enseigner la valeur de ce cadeau inestimable, et en retour d’assumer la responsabilité inhérente du savoir. Ainsi, pour cultiver l’impeccabilité du guerrier, on ne peut se contenter de subir les circonstances de la vie, il faut y trouver la source de croissance et de pouvoir personnel qu’elles contiennent.